NOSTALGIES D’UN CINEMA D’ANTAN

Alain Cavalier

6 février 2021

Cela ne vous a probablement pas échappé, mais la nostalgie est motrice dans l’industrie audiovisuelle. Il suffit de voir à quel point les années 80 ont la côte dans les productions récentes, allant des références directes (Super 8, Stranger Things) à l’esthétique néon (The Neon Demon, Nerve). Les cinéastes sont nostalgiques, et la nostalgie ça inspire autant que ça vend.

Dans cet article on s’intéressera à deux films en particulier : Once Upon a Time… In Hollywood, et Mank.

Sorti en salles en 2019, le dernier film de Quentin Tarantino, Once Upon a Time… In Hollywood (qu’on abrégera désormais OUTH si vous le voulez bien), narre les péripéties de Rick Dalton et Cliff Booth, un acteur à la carrière déclinante et sa doublure attitrée. En parallèle, le film suit le quotidien de Sharon Tate. Si ce nom vous évoque feu l’épouse de Polanski, c’est bien parce que l’action se déroule en 1969, époque charnière marquant le passage entre Vieil et Nouvel Hollywood ; transition qui, bien évidemment, a bouleversé le système dans son entièreté. Si les deux personnages principaux sont fictifs, le contexte historique est lui bien réel.  

Mank est quant à lui le dernier film de David Fincher, mis en ligne sur Netflix le 4 décembre 2020. Le métrage est un biopic sur Herman J. Mankiewicz, et plus précisément sur l’écriture du scénario de Citizen Kane de Orson Welles (1946) dont il est l’auteur. L’action se déroule donc dans les années 30, période de grands changements pour le Cinéma, car ce dernier est sonore depuis peu et opère une mue qui ébranle toute l’industrie ; sans parler de la crise économique éponyme.

A la lecture des synopsis, on comprend tout de suite le principal point commun entre ces deux films. L’un comme l’autre s’intéressent à des ères qui ont radicalement changé le Cinéma, et si ces changements ont été positifs (autant dans les productions immédiates que dans le long terme) ils ne se sont pas faits sans heurts, bien au contraire. Il s’agit là des deux grandes crises identitaires du Cinéma ! Pour leurs réalisateurs respectifs, OUTH et Mank sont autant une lettre d’amour pour ces temps révolus qu’une critique acerbe d’un système gangrené.

On peut noter au passage que Tarantino et Fincher sont tous deux des réalisateurs qualifiés de « quality mainstream », c’est-à-dire de vrais auteurs du Cinéma mais dont les films sont considérés comme des blockbusters (on en parlait ici). Ils ont incontestablement une empreinte sur leurs films qui permet de les identifier dès la première seconde, mieux qu’une puce électronique.

Pour autant, leurs styles se font beaucoup plus discrets dans leurs derniers films. On reconnaît bien leurs signatures, mais elles sont plus subtiles, plus précautionneuses. Ce n’est véritablement que dans sa dernière scène que OUTH nous prouve sa filiation avec Tarantino, par exemple. Cette distanciation est au service d’une ambiance, celle de l’époque à laquelle se déroulent les films. Si le sens du cadre millimétré de Fincher est bien visible dans Mank, il délaisse l’esthétique poisseuse d’Alien 3 et Seven, ainsi que le froid clinique de Millénium et Gone Girl, pour une image qui simule le style des années 40.

Mank, David Fincher (2020)

On pourrait donc croire qu’il s’agit là de leurs films les moins personnels. Que nenni ! Ce sont au contraire les films les plus intimes de leurs filmographies. Dans chacune des 292 minutes que comptabilisent les deux œuvres, on ressent tout l’amour qu’ils portent pour leur héritage. L’affect y est sincère et touchant, c’est comme si Tarantino et Fincher nous racontaient l’histoire, les larmes aux yeux. Cela est peut-être d’autant plus vrais pour ce dernier, car Jack Fincher, son défunt père, est l’auteur de la première version du script de Mank.

En terme de narration, les deux films sont également assez similaires. Au-delà du rythme lent, et du récit divisé (en plusieurs points de vue (OUTH) et temporalités (Mank)), ils partagent une particularité narrative assez étonnante, à savoir une intrigue quasi absente. En effet, si ces films racontent énormément de choses sur leurs époques et leurs personnages, on constate qu’il n’y a pas vraiment d’enjeux.

On aurait pu s’attendre à ce que Mank mette en avant les obstacles que Mankiewicz a surmontés pendant l’écriture de Citizen Kane, ou sa querelle avec Orson Welles sur la paternité de l’œuvre, mais non. Mank met bout à bout des scènes d’écritures accompagnées de flashbacks afin de nous montrer quels moments de son passé l’ont inspiré, une collection de tranches de vies qui, à la manière d’un puzzle, ne prend vraiment de sens qu’une fois assemblée.

Once Upon a Time… In Hollywood porte bien son nom. On suit le quotidien moribond des personnages, ils n’ont pas vraiment d’objectifs et ne sont là que pour être là, tout simplement. C’est un conte désillusionné, « Il était une fois… », où sont dépeints des personnalités farfelues mais écrasées par l’immuable ennui de la réalité, celui qu’on ne montre jamais dans les fictions.

Il est évident que le protagoniste de ces films est le contexte historique, les personnages n’y sont que des figurants. Néanmoins, ils traitent chacun d’un sujet bien précis : Citizen Kane et Sharon Tate. S’il est possible de voir Mank et OUTH sans connaître ni l’un ni l’autre, on se coupe malgré tout de l’expérience proposée.

Ainsi, on comprend mieux le sens qui se dégage dans chacune des scènes de Mank si l’on a Citizen Kane bien en tête. De même, OUTH joue à chaque instant avec la tension qui se dégage du destin tragique de Sharon Tate. Fincher et Tarantino s’adressent à ceux qui connaissent leurs sujets. Malheureusement, il est fort à parier que la majorité des spectateurs n’entrent pas dans cette catégorie, Citizen Kane est un vieux film et le décès de Sharon Tate est un drame méconnu des nouvelles générations. Le succès mitigé des deux films peut trouver une justification dans cette donnée.

Quoiqu’il en soit, nous avons là deux œuvres signées par deux des meilleurs réalisateurs contemporains, et si l’on peut leur reprocher une certaine inconsistance dans leurs intrigues, leurs qualités techniques sont indéniables, et les performances d’acting irréprochables.

Once Upon a Time… In Hollywood et Mank sont de parfaits témoins d’une ère majeure pour l’industrie cinématographique, et ici je ne parle pas seulement de celles qui sont dans les films :  Once Upon a Time… In Hollywood est sorti au cinéma en 2019, Mank a été mis en ligne sur Netflix en 2020. Par leur simple différence d’exploitation, ces films racontent déjà quelque chose sur leur époque.

Once Upon A Time... In Hollywood, Quentin Tarantino (2019)

PS : pour l’anecdote, l’acteur Damon Herriman qui incarne Charles Manson dans Once Upon a Time… In Hollywood, joue également le même rôle dans Mindhunter, la série créée par David Fincher, et ce par la plus fortuite des coïncidences.

Alain Cavalier

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