FLASHBACK : QUAND LE CINÉMA JOUE AVEC LE PASSÉ

Nelly Barad

5 décembre 2020

© Memento, Christopher Nolan (2000), UFD

Quel est le point commun entre…

Tous ces films font partie de ceux qui ont marqué l’histoire du cinéma par l’utilisation d’un procédé narratif bien connu : le flashback. Chacun à sa façon…

L’inventeur du flashback au cinéma, c’est le réalisateur français Ferdinand Zecca, dans Histoire d’un crime. Ce film muet de 1901, raconte en 5 min 22 et six tableaux l’histoire d’un homme qui tue le gardien  d’une banque pour voler la caisse. Il est arrêté alors qu’il dépense la somme dérobée et se retrouve en prison, en attendant d’être guillotiné. Sur les murs de sa cellule, apparaissent alors successivement trois souvenirs. Les deux premiers sont heureux : il est enfant dans l’atelier de menuiserie paternel, puis jeune homme à table avec ses parents. La dernière scène le montre au café, où il perd son salaire au jeu.  Ces souvenirs sont comme projetés sur le mur, écran dans l’écran, dans une mise en abyme brève et à forte puissance narrative.

Mais il ne s’agit pas d’une projection, cela n’existe pas encore. La technique utilisée est donc assez originale : Zecca imagine une cavité rectangulaire au-dessus du lit du condamné, dans laquelle les acteurs vont jouer les scènes qu’il se remémore. « L’arrêt de caméra » permet le changement de décor entre chaque scène, ainsi que la pose ou le retrait de la toile peinte figurant le mur.

On dit même que Histoire d’un crime est l’un des premiers, voire le premier polar ! En tout cas, le film a connu un succès mondial…

Regardez :

En 1939, Marcel Carné relève un autre défi : construire un film complet à base de flashbacks. Le retour en arrière n’est plus court et ponctuel, mais l’essence même de la narration.

Le jour se lève est considéré comme le premier film parlant bâti de cette façon.

Au début du film, François (magistral Jean Gabin) tue avec une arme à feu Valentin (Jules Berry), puis il s’enferme dans son appartement, alors que les forces de l’ordre encerclent l’immeuble. Durant toute la nuit, l’assassin va se souvenir des événements qui ont abouti au drame.

Rien de bien compliqué à comprendre mais, en 1939, c’est complétement inédit ! A tel point que les distributeurs exigent qu’un carton prévienne le public au début du film : l’homme assiégé « évoque les circonstances qui ont fait de lui un meurtrier ».

Marcel Carné ne décolère pas !

© Le jour se lève, Marcel Carné (1939), Sigma

Deux ans plus tard, Orson Welles réalisera Citizen Kane

Le chef d’œuvre d’Orson Welles se fonde sur l’enquête menée par un journaliste, Jerry Thompson, qui veut percer le mystère du dernier mot prononcé par le magnat de la presse Charles Foster Kane avant de mourir : « Rosebud », alors qu’une boule à neige s’échappe de sa main. Tous ses proches sont alors âgés, et les interviews effectuées par Thompson ouvrent la porte à de nombreux flashbacks. A la fin du film, personne n’a la réponse… sauf le spectateur qui peut lire « Rosebud » sur le traîneau avec lequel Kane enfant s’amusait lorsque le banquier Thatcher l’a emmené loin de chez lui.

Les six flashbacks dévoilent peu à peu la personnalité de cet homme richissime. Il apparaît comme mégalomane, égoïste, violent. Le dernier plan apporte une lumière différente, dans la solitude absolue d’un souvenir d’enfance brûlé avec les autres objets sans valeur qui encombraient le manoir de Kane.

Les critiques sont enthousiastes, les spectateurs beaucoup moins… Il faudra attendre le regard aguerri d’André Bazin pour donner à Citizen Kane ses lettres de noblesse et en faire un joyau du cinéma.

© Citizen Kane, Orson Welles (1946)

En 1960, Henri-Georges Clouzot rend le flashback encore plus complexe dans La Vérité, jonglant en artiste entre les retours en arrière subjectifs et objectifs.

Encore un meurtre… perpétré par Dominique (Brigitte Bardot) sur Gilbert (Sami Frey), son ancien amant.

L’amant n’est autre que le fiancé d’Annie (Marie-Josée Nat) la sœur de la meurtrière.  Gilbert a succombé au charme de la jolie Dominique dont la légèreté le séduit. La jeune femme refuse les règles et mange la vie en gourmande, sans penser à l’avenir. Seulement, Gilbert ne parvient pas à la suivre sur ce chemin incertain et il rompt pour se réconcilier avec Annie.

Dévastée, Dominique se rend plusieurs semaines plus tard chez l’homme qu’elle aime toujours, le menaçant de se suicider devant lui. Gilbert la repousse avec mépris. Dominique retourne son pistolet contre lui et le tue. Elle tente alors de se supprimer elle-même, mais le chargeur est vide. Elle est sauvée à la dernière minute alors qu’elle tente de se suicider au gaz. Elle sera ensuite jugée aux Assises pour meurtre.

L’originalité talentueuse de Clouzot est de construire son film sur les flashbacks, dont la vérité est parfois mise en doute.

Treize flashbacks successifs font des allers-retours entre l’incontestable et le vécu, entre l’objectif et le subjectif. Ceux qui ne laissent aucun doute reposent sur la procédure judiciaire ; les autres nous baladent… Clouzot innove même en créant une discordance entre le début du flashback et sa fin, le personnage qui l’amorce étant différent de celui qui le conclut. Lors du procès par exemple,  l’évocation par Dominique de sa liaison avec Gilbert s’achève comme étant le récit de sa logeuse.

Le dernier flashback, troublant, est le témoignage d’un ami de Gilbert. C’est lui qui a découvert le corps. Et nous assistons alors à la scène du meurtre par le biais d’un homme qui ne l’a pas vue, tout en sachant que l’accusée n’en garde aucun souvenir…

De quoi nous embrouiller !

Où est la vérité ? semble nous demander Clouzot. N’est-elle pas plurielle, tiraillée entre les faits écrits, qui constituent le dossier, et les témoignages où s’enchevêtrent sincérité et perception subjective de faits irrévocablement passés ?

Pour l’instant, rien d’ingérable. La gymnastique de l’esprit reste praticable. Là où l’on atteint le sport de haut niveau, c’est quand on lit le nom de Christopher Nolan sur l’affiche…

Dans Memento, par exemple, sorti en 2000, le réalisateur dessine un savant chassé-croisé entre deux narrations : la première, chronologique et en noir et blanc, et la seconde en couleurs, dans une chronologie inversée.

© Memento, Christopher Nolan (2000), UFD

En tentant de sauver sa femme sauvagement agressée, Leonard Shelby (Guy Pearce) reçoit un coup sur la tête qui le rend amnésique d’une singulière façon : il ne garde aucun souvenir de ce qu’il vit, et ce à partir du meurtre de son épouse. Sa mémoire va donc se nourrir des photos qu’il prend sans cesse avec son polaroïd, des traces laissées et des tatouages dessinés sur son corps, autant de petits cailloux semés pour remonter jusqu’au meurtrier.  

Les scènes en couleurs ont la durée de vie de la mémoire de Léonard qui a oublié ce qui les a précédées. Et nous en sommes au même point, puisque la chronologie inversée nous laisse également dans l’ignorance….

Dans cette poupée gigogne, les deux récits se rencontrent à la fin du film, qui est en réalité le milieu de l’histoire.

C’est dans ce kaléidoscope temporel que le héros mène son enquête, à laquelle s’ajoute, en surimpression, un récit identique. Avant le drame, Leonard était inspecteur aux arnaques à l’assurance et il a été amené à vérifier si l’amnésie à court terme d’un client était réelle ou simulée. Pour supprimer le doute, l’épouse de ce dernier imagine une mise à l’épreuve qui innocente son mari mais qui lui coûtera la vie.

Il s’agit sans doute davantage de torsion du temps que de flashbacks à proprement parlé. Et l’évocation des spectateurs décontenancés sortant de la projection d’Histoire d’un crime ou l’avertissement présenté au début de Le jour se lève nous fait sourire aujourd’hui.

Quelle que soit la forme choisie, le flashback offre aux réalisateurs le merveilleux cadeau de jouer avec le passé, quand ce n’est pas avec l’avenir sous forme de flashfoward. Dans ce challenge jubilatoire, nous sommes contraints d’accepter les brisures chronologiques et de recoller comme nous pouvons les morceaux narratifs. Avec plus ou moins de virtuosité ! 

Pour conclure, si vous souhaitez maintenant vous détendre un petit peu tout en restant dans le même thème, nous vous conseillons de regarder Tenet, du même Christopher Nolan…

Nelly Barad

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