LE NANAR, UNE AUTRE VISION DU CINEMA

Alain Cavalier

3 mars 2020

© White Fire, Jean-Marie Pallardy (Les Films JMP)

« Hier j’ai vu un film. C’était nul ! Mais nuuuul ! Un vrai nanar ! » entendons-nous à outrance dès que quelqu’un parle d’un film qu’il n’a pas aimé. Galvaudé, le terme « nanar » désigne pourtant tout un pan du cinéma qu’il serait bon de réhabiliter. Alors, qu’est-ce qu’un nanar ? Un film mauvais ? Oui, mais pas tout à fait. Un film raté ? Assurément. Oubliez les Piranha 3D et autres Sharknado, dont la nullité volontaire et assumée en font davantage des comédies potaches que de purs produits nanardesques.

Les deux ingrédients primordiaux d’un nanar sont : la passion et le manque de talent. Oui, ça peut paraitre paradoxal dit comme ça, et pourtant, c’est une réalité. Ed Wood, Uwe Boll, Bruno Mattei, Tommy Wiseau, Neil Breen… autant de prétendants au titre de pire réalisateur de l’histoire du cinéma. Le réalisateur de nanar est une personne qui se rêve cinéaste mais qui n’en a pas les capacités, ignorant jusqu’aux bases même de la mise en scène. Cet handicap majeur ne les empêche cependant pas de croire en ce qu’ils font. Ils sont persuadés de faire de l’art. Et ça c’est beau.

En vérité, il est assez difficile de décrire avec précision la différence entre un film simplement mauvais et un nanar, un vrai. C’est une expérience qu’il faut vivre pour la comprendre. Mais pour faire simple, un nanar est une comédie malgré elle. Incrustations ratées, jeux d’acteurs approximatifs, effets spéciaux aux rabais, scénario imbitable… cette succession de cabotinages n’est pas suffisante pour venir à bout de l’énergie qui se dégage de chaque seconde du métrage. L’espoir de faire un bon film transpire dans chaque image. Bref, un nanar est fait avec amour.

© Despiser, Philip Cook (Eagle Films)

Si les défauts techniques est le troisième ingrédient d’un bon nanar, un quatrième serait le déni. Car oui, beaucoup (pas tous fort heureusement) nient en bloc la nullité de leurs films. Si leurs œuvres est un ratage, c’est parce que nous, pauvres spectateurs dopés aux blockbusters hollywoodiens, ne les avons pas compris. Et là nous touchons un point précis : le réalisateur de nanar est un Auteur. Et j’écris cela sans aucune dérision, vraiment.

Les noms que j’ai cités en second paragraphe ont en commun un univers qui leur est propre et qu’ils ont bâtis de film en film. Il est tout à fait possible de reconnaitre leurs signatures dès les premières images. Ils ont même des thèmes récurrents à travers leurs filmographies, car oui, ils ont un message à faire passer. Dans le fond, ce qui les distingue des grands auteurs du septième art tel Scorsese, on y revient, c’est le talent, tout simplement. Et peut-être aussi l’argent.

Si l’absence de moyens est une composante régulière du nanar, elle n’est pas non plus primordiale. Car oui, des nanars à gros budgets ça existe (coucou la saga Resident Evil <3). Le nanar est imprévisible, même si on le retrouve surtout dans la série Z, on peut sans problème tomber dessus dans la série B et la série A. L’argent n’achète pas le talent, c’est bien connu.

Pour autant, comme tout bon rejeton de l’industrie cinématographique, le nanar a vocation à faire du profit. Vous connaissez la rengaine, rapporter plus en ayant couté moins, c’est pas nouveau. Et avec des budgets dérisoires, voire inexistants, le nanar n’a souvent qu’une seule solution : suivre la mode. Notre mauvaise foi aurait tendance à parler de plagiat, mais soyons indulgents, il s’agit juste d’un petit frère un peu simplet qui veut faire tout pareil que son aîné, mais en moins bien.  

© Titanic : Odyssée 2012, Shane Van Dyke (The Asylum)

En vérité, l’industrie du nanar fait preuve d’une inventivité exemplaire en la matière : suites non officielles, affiches retravaillées, titres ressemblants, relocalisations (turkish Star Wars & co) ; le nanar fait juste assez pour ne pas se faire choper, tout en assumant sa filiation à un grand nom du Cinéma. Et le pire, c’est que ça marche.

Il est important de spécifier que si un film se doit d’être vu dans sa langue maternelle, le nanar, lui, est magnifié par le doublage. C’est une simple question d’addition, aussi vrai que 1+1 font 2, un mauvais acteur doublant un autre mauvais acteur font un carnage des plus risible. Certaines répliques sont même devenues cultes, récitées à tue-tête par tous les amoureux de ce cinéma déviant.

Au-delà de ses faiblesses techniques évidentes, la vraie force du nanar est de proposer du jamais vu. Imaginez la chose la plus improbable que vous puissiez voir dans un film, eh bien quelque part, dans le monde, un nanar l’a déjà fait.

Une scène de fusillade sur un terrain de hockey pendant un match d’entrainement, durant lequel les tireurs s’accrochent à la ceinture des joueurs pour se déplacer plus vite et s’en servir de bouclier humain ? Déjà fait dans Menace Nucléaire. Des démons extra-terrestres ayant atteint le purgatoire après avoir chuté trop fort sur terre ? Vu dans Despiser. Une jeune américaine possédée par l’esprit d’un ninja démoniaque et immortel, dont les yeux se brident lorsqu’il prend contrôle d’elle ? Invasion Ninja 3. Même un esprit malade ne pourrait imaginer de telles histoires, et pourtant elles existent.

Le nanar surprend toujours, et ne déçoit jamais.

Me croyez-vous si je vous dis que chaque année le Grand Rex fait salle comble à l’occasion d’une projection nocturne ? Il y a une vraie communauté qui fait vivre ce sous-cinéma, et elle compte de plus en plus de fidèles, s’en devient presque inquiétant. Les Nuits Nanarland, qui rameutent tout ce beau monde, sont un vrai retour aux origines foraines du cinéma. Les films vivent à l’écran, mais aussi dans la salle. Les spectateurs s’esclaffent à l’unisson, commentent en live, et pleurent (de rire) de tout leurs saouls.
 

Des passionnés se battent d’arrache-pied pour dégoter les perles rares, et sauvent même certains films de l’extinction. Ca a été le cas pour Karaté contre Mafia, dont l’unique copie 35mm, reposant à la Cinémathèque de Tenerife, a été dupliquée in extremis avant d’être à jamais détruite. Ensuite, le film a bénéficié d’une restauration. Et oui, le patrimoine est partout, même là où on ne l’attend pas.

Bref, je pourrais encore écrire longtemps sur le sujet (car oui, ça me passionne), mais quand on parle de cinéma, les images valent mieux que les mots. Pour ceux et celles qui souhaiteraient creuser le sujet, je ne saurais que trop vous conseiller une visite sur le site nanarland.com, ou bien de regarder la web-série documentaire Nanaroscope produite par Arte (vous voyez c’est plus sérieux que ça en a l’air), ainsi que l’émission Allociné : Escale à Nanarland, ou encore de tout simplement taper le nom de Neil Breen dans le champ de recherche YouTube.

 

© Twisted Pair, Neil Breen

Vous vous êtes sûrement dit en lisant ces lignes : « Mais il faut vraiment être bizarre pour regarder consciemment des films de m***de et aimer ça ». Je ne saurais être plus d’accord avec vous. Mais être cinéphile n’est-il pas de consommer le Cinéma sous tous ses aspects ? Une chose est sûre, le nanar vous offrira une expérience inédite et inoubliable, et croyez-moi, vous en redemanderez.

 
En bon prince, je vous quitte avec une liste non-exhaustive de nanars ubuesques qui m’ont particulièrement marqué :
 
– Invasion Ninja 3 (1985), de Sam Firstenberg

– Menace Nucléaire (1996), de Mark Roper

– Karaté contre Mafia (1980), de Ramon Saldias et Sah-Di-A

– The Room (2003), de Tommy Wiseau

– Twisted Pairs (2018), de Neil Breen

– Momie la résurrection (1993), de Gerry O’Hara

– House of the dead (2003), de Uwe Boll

– White Fire (1984), de Jean-Marie Pallardy

– The Amazing Bulk (2012), de Lewis Schoenbrun

– Despiser (2003), de Philip Cook  

Alain Cavalier

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